mercredi 30 janvier 2008

Le web 2.0 : ce qui fait révolution ?

La notion de transmission convient d’être interrogée sur le plan de l’effet de l’accélération de l’innovation technologique et de l’émergence de nouveaux médias, en particulier le web et ses prolongations.

L’informatique est d’abord entré dans le monde professionnel conduisant en quelques années à une mutation importante de certaines pratiques et rapports sociaux, en particulier dans les activités du tertiaire. La diffusion massive de la micro-informatique a eu pour double conséquence de supprimer des centaines de milliers d’emplois de secrétaires et de dactylos, et de conduire des cadres, y compris de niveau hiérarchique élevé à devoir gérer de façon autonome une large partie d’activité autrefois déléguées. La représentation du statut a, de ce fait, évolué, puisque l’une des attributs symboliques du pouvoir est passé du nombre d’assistantes à la qualité de l’équipement informatique et de communication. Aujourd’hui, dans l’ordre symbolique, le Blackberry a remplacé la secrétaire de direction.

La diffusion massive de l’informatique personnelle a entraîné aussi une transformation des temps sociaux. La séparation entre la sphère privée et la sphère professionnelle est plus perméable qu’auparavant, en particulier parce que les outils communicants peuvent être mobilisés indépendamment du contexte.

La question du rapport de la génération 68 à l’image et aux médias peut être posée.

La transmission du savoir ne tient plus seulement dans le sens traditionnel qui va du plus expérimenté au plus jeune. La modernité évolutive est marquée par une fluidité et une obsolescence croissante des savoirs. L’anthropologue Margaret Mead parle de « culture préfigurative » pour montrer que les adultes peuvent apprendre de leurs enfants ou de personnes plus jeunes. L’informatique et ses dérivés forment le lieu le plus symbolique de cette mutation. Au sein des familles, c’est souvent un enfant qui se transforme en Directeur des services informatiques local… De même dans l’entreprise, de jeunes embauchés peuvent être recrutés à des salaires plus élevés que des ingénieurs chevronnés en raison de leurs connaissances plus fraîches par rapport à certains logiciels.

Fondamentalement les changements dans les relations entre les générations concernent l’émergence de la notion de responsabilité intergénérationnelle et plus largement à la réciprocité entre les générations[1]. Loin des discours idéologiques sur la guerre des générations[2] pointant, à partir d’analyses de cohortes, une classe d’âge de privilégiés face à des jeunes sans avenir, la réciprocité entre les générations se relève dans le cadre des situations de famille ou du voisinage, dont Simone Pennec a mis en avant l’importance, c[3]omme dans celui de l’entreprise. Il importe de prendre la mesure de la formation d’un espace générationnel qui se construit dans un rapport au temps et doit se mesurer qu’a posteriori. Les générations ne se définissent plus nécessairement dans l’instant mais par la comparaison et dans une perspective historique.

 

Serge Guérin


[1] Attias-Donfut, Claudine, Rozenkier, Alain, et al, Les Solidarités entre générations : vieillesse, familles, État, sous la dir. de Claudine Attias-Donfut, Paris, F. Nathan, 1995. et Attias-Donfut, Claudine & Lapierre, Nicole, La famille providence, trois générations en Guadeloupe, Paris, La documentation Française,1997.

[2] Chauvel, Le destin des générations, Paris, PUF, 1998.

[3] Pennec, S. (dir.), Le Borgne-Uguen, F., collaboration Guichard-Claudic, Y., Ce que voisiner veut dire, Brest, ARS, Université de Bretagne Occidentale, Fondation de France, 2002.

dimanche 27 janvier 2008

Rapport Attali : quelle croissance ?

La commission Attali a remis son rapport et son catalogue de propositions. La question première tient à la notion de croissance. Il n’y a pas une croissance mais plusieurs formes de croissances. Avec la pression écologique et l’impact démultiplié de la société de la connaissance[1], la notion de croissance est appelée à évoluer mais pas à disparaître. Les sociétés ont besoin de perspectives pour avancer et conserver une dynamique interne.

En revanche, la croissance doit recouvrir de nouvelles notions et partir d’un calcul prenant en compte les objectifs que se donne la société. Les indices de croissance, comme tout chiffre, restent un construit social : il est donc normal d’en définir la composition et qu’elle puisse évoluer.

En soi, la croissance ne veut rien dire. Par exemple a réduction du nombre de morts sur la route contribue à diminuer le taux de croissance…

Choisir la mesure de la croissance c’est déjà indiquer la société que l’on souhaite construire collectivement.

 

Serge Guérin


[1] http://www.finances.gouv.fr/directions_services/sircom/technologies_info/immateriel/immateriel.pdf

dimanche 20 janvier 2008

Emploi des seniors : sortir de l’échec

La réforme Fillion sur les retraites de 2003 n’a pas donné les résultats à la hauteur des enjeux en ce qui concerne l’emploi des seniors. Entre 2002 et 2007, le taux d’emploi des seniors n’a augmenté que de 3 points, passant de 34,7 à 37,6% selon Eurostat. Dans la même période, l’Allemagne a vu son taux d’emploi des 55-64 ans passer de 38,9 à 48,4 %.

Le système de retraite par répartition fonctionne dès lors que les actifs sont en nombre suffisant par rapport aux retraités pour que les cotisations retraite ne soient pas trop élevées et que les pensions restent convenables. Le vieillissement de la population et l’allongement de la vie nécessitent d’ajuster les équilibres en agissant soit sur le montant des cotisations, soit sur celui des pensions ou en faisant en sorte que plus de personnes travaillent. Ce dernier facteur est le seul à s’inscrire dans une logique de progrès social,  de croissance économique et de maintien de notre système de retraite.

Le taux d’activité des seniors en France est l’un des plus bas d’Europe, il offre donc une belle marge de progression, sachant par exemple qu’en Suède, il tutoie les 70 % !

Une politique active passera par une réelle motivation des personnes à travers une majoration significative (et non cosmétique) de la retraite si la personne poursuit son activité au delà de la imite des 65 ans, la mise en oeuvre d’actions de formation y compris pour les salariés âgés, l’interdiction totale du recours à toutes formes de pré-retraites  et des actions de communication et de sensibilisation des dirigeants.

 

Serge Guérin

lundi 14 janvier 2008

Mai 68, la dernière génération ?

Le sujet « 68 » va beaucoup se vendre cette année. Nous adorons les commémorations et la distribution des bons points. Qu’est-ce qui fait génération aujourd’hui ? Cela ne peut se résumer au passage d’une classe d’âge à une autre. La diversité des identités et des situations et l’accélération de l’innovation technologique jouent un rôle central dans cette mutation.
Le mouvement de mai 68 marque sans doute la dernière révolte générationnelle de grande envergure. Au sens où cette « révolte juvénile », pour reprendre une formule d’Edgar Morin, a été menée au nom de la jeunesse et contre les générations précédentes. Il s’agissait de casser les rapports sociaux et le formalisme hérités d’un ordre ancien et vieillissant.
Les mouvements qui ont suivi ne comportaient pas cet élément classique d’opposition générationnelle. Les acteurs, après coup, en sont eux même conscients : « il s’agissait de « vivre la dernière grande expérience générationnelle qui apportait ce sentiment d’entrer dans l’histoire
[1]», explique le réalisateur Jean-Henri Roger, ancien de Mai et auteur de « Code 68 ».
Depuis, la notion de génération a pris du flou, si l’on peut dire, les émeutes urbaines de 2005 et les mouvements étudiants anti CPE ont marqué une fracture au sein des jeunes. Les émeutes ont révélé une jeunesse en rupture avec l’histoire sociale et les normes traditionnelles
[2]. Le mouvement anti CPE a traduit de façon symbolique la fracture interne au sein de cette classe d’âge : des jeunes issues de certains quartiers désocialisés sont venus affronter physiquement les étudiants dans les cortèges de manifestants.
L’épisode social de l’automne 2007 a montré une autre application de la déstructuration de la notion de génération : certains étudiants ont annoncé vouloir à rejoindre les manifestions contre la réforme des régimes spéciaux de retraite alors que, d’une certaine façon, leurs enjeux et leurs intérêts sont diamétralement opposés.
Pour autant, le fait générationnel s’il est construit sur une forte référence commune ne supprime pas les oppositions et les mémoires. Dans un article récent du Monde, George Mink
[3] parle du « très trompeur trait d’union générationnel » et cite l’exemple d’un débat organisé en Pologne entre D Cohn-Bendit, le leader étudiant de l’époque et député européen Vert, et A Madelin, ex militant d’extrême-droite et devenu chef de file des libéraux en France, pour célébrer une forme d’humanisme commun. Or, Mink signale que le romantisme générationnel a juste tenu le temps de faire la photo. Les oppositions sur le passé comme le présent restent fortes.

Serge Guérin
[1] In Télérama, n° 2898, 27 juillet 2005.
[2] Marlière, Eric, Jeunes en cité. Diversité des trajectoires ou destin commun ?, Paris, L’Harmattan, 2005
[3] In Le Monde, 4 janvier 2008

jeudi 10 janvier 2008

Hommage à Marie-Paul Kermarec, de la librairie Dialogues à Brest

Les librairies sont essentielles à la qualité de vie d’une ville. Elles façonnent et structurent de façon sereine le lien urbain. La librairie à contenu est un port pour l’intelligence.
À Brest voilà plus de 30 ans que Marie-Paul Kermarec et son frère Charles animent Dialogues. C’est une librairie qui bouge, qui produit de l’âme et qui propose des lieux de vie et d’échange.
Il faut être venu l’après-midi déambuler dans les espaces de la librairie pour saisir ce que dialoguer avec les livres veut dire, pour comprendre que la lecture est d’abord plaisir de la découverte, de l’intelligence et de la curiosité.
Tout est fait pour que le lecteur-visiteur se sente en confiance et en harmonie avec les livres. On peut s’asseoir et lire tant que l’on veut, boire un verre, regarder les expos de photos… Bref, un lieu fabuleux et évolutif qui permet d’oublier les contraintes de la ville, les orages extérieurs ou de prendre son temps avant d’aller faire une visite chez Histoire de Chocolat, autre espace magique.

Marie-Paul Kermarec est morte fin décembre. Elle était l’âme des lieux, celle qui donnait des conseils, accompagnait le parcours livresque de centaines d’aficionados de la librairie. Ses obsèques, au moment des fêtes de Noël, furent un vrai moment de partage dans la ville. Il fallait entendre les témoignages de clients se rappelant que Marie-Paul Kermarec leur avait fait découvrir tel ou tel auteur, mais surtout les avait écoutés pour les éclairer sur des choix de livres, qui sont aussi des choix de vie.
Je ne viens jamais à Brest sans passer par Dialogues pour sentir les nouveautés et voir ce que l’équipe de Marie-Paul Kermarec mettait en avant, ni sans faire une cure de jouvence aux Enfants de Dialogues. La vie continue, les livres aussi.
Le monde serait beaucoup plus joli et vivable s’il y avait quelques milliers de Marie-Paul Kermarec supplémentaires.
Bon courage Charles.

Serge Guérin

lundi 7 janvier 2008

Le retour de la TVA Sociale ?

La question de la TVA sociale refait surface. Il semble qu’Eric Besson, le Secrétaire d’Etat à la prospective, fasse travailler ses équipes sur le sujet. C’est une bonne chose. Certes, le mot fait peur et porte une charge symbolique forte, pour autant, il serait bon de laisser de côté le regard idéologique pour simplement tenter de décrypter ses apports.
D’abord, la TVA sociale n’est pas une formule magique permettant d’accroître les ressources de la collectivité sans que personne n’acquitte une contrepartie… Il s’agit bel et bien d’un impôt qui concerne l’ensemble des consommateurs. Il n’est pas redistributif mais plus l’achat est élevé et plus la taxe est lourde.
Son principal atout provient que la ponction fiscale se réalise en amont de la production. Comme l’a souligné un rapport du Conseil Economique et Social à la fin 2007, il paraît plus efficace de réaliser les prélèvement en aval de la production. Il y a une certaine logique à taxer la production et la consommation plutôt que le travail et le capital. En fait, il s’agit aussi de ne pas handicaper ceux qui créent des emplois en taxant la production et non ceux qui produisent. L’exemple du Danemark montre que la TVA sociale n’entraîne pas de hausse des prix et autorise l’élargissement de la taxation aux produits importés dégageant ainsi de nouveaux financements sans peser sur la consommation des plus modestes.

Serge Guérin

vendredi 4 janvier 2008

Pour une politique active de la gestion des âges dans l’entreprise

Après plus de 30 ans de culture de la pré-retraite, on passe doucement d’une approche centrée sur la retraite et la gestion des seniors à une politique de l’emploi des seniors et de la gestion des âges. Quelques initiatives d’entreprises s’engagent progressivement dans cette nécessaire révolution culturelle qui doit remplacer la néfaste gestion par l’âge au profit de la prise en compte des âges.
Pourtant, bien que l’environnement institutionnel ait évolué et que des initiatives positives fleurissent ici et là, fondamentalement rien n’a vraiment changé dans le royaume de France : le taux d’activité des 55-64 ans est passé en France de 34 à 37 %.
La force des habitudes, le poids des stéréotypes, l’impact sur les salariés comme sur les employeurs de 30 ans de culture des pré-retraites, les réalités de l’emploi… se conjuguent pour ralentir le nécessaire mouvement de la dynamique intergénérationnelle.
Les représentations restent incroyablement négatives vis-à-vis de l’âge. D’autant plus que ceux qui devraient aiguiller l’intelligence sociale, préfèrent poursuivre le travail de sape et jouer sur les peurs et les incompréhensions entre générations.
Ces essayistes, bien installés dans leurs certitudes confortables et leurs représentations, à la recherche de succès de librairie faciles mettent en avant l’opposition entre les générations, font peser le poids de leur démission sur les épaules des plus âgés et renforcent encore les stéréotypes attachés au plus de 50 ans.
Ils ont tôt fait d’oublier les ravages d’une mise à la retraite sans préalable et sans ménagement, la difficulté de vivre sa prise d’âge dans une société qui ne jure que par le jeunisme (tout en se méfiant d’une partie de ces jeunes), les difficultés financières et sociales vécues par de nombreux seniors et personnes âgées... Ces auteurs qui se bercent de chiffres et de statistiques, ne savent pas que les réalités sont bien plus nuancées. Dans les entreprises, bien des jeunes regardent leurs aînés en pensant à leur père sans emploi et inversement bien des seniors ne peuvent oublier la situation difficile de leurs enfants lorsqu’ils coopèrent avec de jeunes collègues. Les uns et les autres démontrent ainsi que l’intergénération fonctionne mieux que l’on ne le dit.
N’embaucher que des jeunes, c’est une fois de plus, ne pas répondre à la diversité démographique du pays et de la clientèle et c’est prendre les mêmes risques de rupture de la chaîne générationnelle, en s’exposant aux mêmes déconvenues 30 ans plus tard. Rappelons aussi que la proportion des actifs ayant plus de 55 ans à dépassé les 10 %, contre moins de 7 %,il y a seulement dix ans. Avec la réduction des mesures d’âge et l’impact démographique, cette proportion devrait s’accroître fortement dans les années à venir.
Le retournement démographique a commencé et ses conséquences se font déjà sentir. Pour l’instant, on ne retient que les effets positifs de la baisse du chômage en dépit d’une croissance bien faible. La diminution de la croissance de la population active, permise par l’augmentation des départs en retraite et l’arrivée des classes creuses sur le marché du travail, permet d’afficher de meilleurs chiffres sur le front de l’emploi. En 2004 nous avions déjà écrit, dans « Manager les quinquas », que cette réduction de la hausse de la population active, puis sa baisse à l’horizon 2020, risque de contribuer à affaiblir la dynamique économique. L’emploi crée l’emploi en ce qu’il contribue à l’activité. Mettre sur le côté les salariés âgés ne peut que conduire à un appauvrissement général et à l’augmentation du chômage. L’étude de l’Insee
[1] sur les taux d’emploi selon les régions montre bien que là où le taux d’activité est faible, le chômage est fort. Une autre manière de mettre en exergue l’effet Malthusien de l’éviction des seniors (mais aussi des femmes ou des handicapés).
Par ailleurs la nouvelle donne démographique, va créer des situations divergentes et tendues. Dans certains secteurs (bâtiment, restauration, transport, services de santé) le besoin restera supérieur à la demande conduisant à des sur-coûts, des disparitions d’activités et à la diminution de la qualité du service rendu. Dans d’autres secteurs, c’est l’inverse qui va se produire avec un trop plein de demande par rapport à l’offre d’emploi… Ces divergences de situation se reproduiront de façon croissante entre les entreprises selon leur capacité, ou non, de pouvoir proposer des perspectives de carrière et des conditions d’emploi très favorables.

L’avenir s’écrira en fonction de notre capacité à créer les conditions d’une coopération entre les générations et entre les cultures qui soient équitable et efficace. L’enjeu c’est plus que jamais, le droit à la différence et à l’innovation.
Pour sortir d’une France en pré-retraite, ne faut-il pas cesser de regarder l’âge comme si la société s’était arrêté en 1950 ? Ne faut-il pas en finir avec l’âge comme référence majeure et la retraite comme borne ultime? Ne serait-il pas temps d’assouplir les cycles sociaux ? Laissons à chacun le droit de construire sa vie, de pouvoir arrêter de travailler dès 60 ans ou de continuer après 70 ans, s’il le souhaite….

Serge Guérin

[1] MARCHAND, O. Enquête annuelles de recensement 2004-2006, Insee Première N° 1117, 2007